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“On peut donner en quelques secondes notre avis sur la pizza qu’on vient de manger, mais on n’a pas la possibilité d’influer sur une réforme qui va changer notre vie ?”
Le monde a changé, mais nos démocraties fonctionnent toujours de la même manière.
On élit, pour quelques années, des représentants qui ont ensuite le pouvoir de prendre toutes les décisions sans jamais plus nous consulter avant l’élection suivante.
Lorsque une décision prise par les élus est contestée, ce qui est fréquent, les recours sont faibles. Les moyens d’actions des oppositions sont très réduits, et le pouvoir en place peut ignorer toutes protestations, manifestations ou sondages montrant qu’une majorité de citoyens s’opposent au projet: légalement, seules comptent les décisions et les votes des élus.
Les conséquences de l’absence de prise en compte des oppositions sont visibles dans toutes les démocraties: tous les représentants, même les plus populaires à l’origine, déçoivent rapidement leurs électeurs et perdent leur confiance. Élection après élection, les citoyens vont de déception en déception, et finalement ne votent plus. Certains finissent par penser que des régimes autoritaires pourraient être plus efficaces pour résoudre leurs problèmes, menaçant l’existence même des démocraties.
Et pourtant, cela a pu marcher par le passé.
Nous sommes passés en quelques décennies d’une société assez homogène, à une société beaucoup plus fragmentée.
Par le passé, les médias et personnalités influentes étaient en nombre plus limités, et en conséquence les opinions étaient principalement divisées en quelques courants dominants, classiquement classés “à gauche” ou “à droite”.
Dans cette configuration, il était possible de trouver des gouvernants qui rassemblent une large majorité de citoyens. Même si les gouvernements pouvaient décevoir, les alternances de majorité pouvait permettre aux idées des uns et des autres d’avancer tour à tour.
L’avènement d’Internet a multiplié les courants de pensées et les leaders d’opinions. Désormais, il y a presque autant de courants de pensées que d’individus, et chacun pioche ici et là ses opinions personnelles. Cette “archipélisation” de la société rend illusoire la possibilité de trouver des élus qui mettent d’accord une majorité de citoyens pendant la durée d’un mandat.
Réussir sa mission en tant qu’élu est aujourd’hui une mission impossible.
Pourtant, il y a des idées majoritaires, voire consensuelles.
Mais souvent elles sont ignorées par les gouvernants.
Ils sont bloqués par leurs programmes, leurs alliés, ou leurs positions passées qu’ils ne peuvent pas contredire.
La nouveauté: les citoyens savent qu’il est maintenant possible de se faire entendre directement.
Aujourd’hui, on peut noter et donner son avis sur une pizza en quelques secondes. L’accumulation de ces notes et avis conduiront en quelques mois une pizzeria vers le succès ou la faillite, et l’aidera peut être à revoir quelques unes de ses recettes.
Les avis, les notes, les votes, les “likes” sont partout dans notre quotidien, pour le meilleur et souvent pour le pire. Nous avons tous intégré à quel point il était facile aujourd’hui de récolter l’avis d’un grand nombre de personnes et d’en faire quelque chose d’utilisable.
Habitués à donner tous les jours leurs avis sur des sujets aussi futiles qu’un film ou un plat, comment les citoyens peuvent-t ils accepter de n’avoir aucune influence sur des décisions importantes qui les concernent directement ?
La démocratie doit évoluer ou elle risque de disparaître.
Nous aimons l’idéal démocratique, mais avec une société de plus en plus fragmentée nos représentants sont condamnés à nous décevoir.
Nous savons qu’il est maintenant possible grâce aux outils numériques que l’opinion de tous soit prise en compte dans les décisions des gouvernements, et nous savons qu’on peut trouver des idées majoritaires et consensuelles parmi les citoyens.
Si nos démocraties n’évoluent pas pour tenir compte de ces évolutions, le nombre de ceux qui pensent que la démocratie n’est plus adaptée à notre époque n’en finira pas de grandir.