Tout le monde adore la démocratie.
Faites le test. Devant une assemblée, dites « Si vous appréciez de vivre dans une démocratie, levez la main », et vous aurez une forêt de bras levés.
Mais juste après, demandez « Si vous pensez que la démocratie dans laquelle vous vivez fonctionne bien, levez la main ». On prend les paris ? Vous n’aurez plus personne.
Et quand on y pense, c’est quand même dingue que quelque chose qui fonctionne aussi mal arrive pourtant à plaire à autant de monde. C’est même carrément paradoxal, alors on va lui donner un nom:
Le paradoxe démocratique ™
Du coup, on a envie de creuser et de demander aux gens pourquoi ils aiment la démocratie, et ce qui revient le plus souvent c’est que la démocratie, c’est « juste ».
Et quand on leur demande pourquoi leur démocratie fonctionne mal, c’est l’avalanche: les élus n’écoutent pas les citoyens, ne respectent pas leurs promesses, sont corrompus, incompétents, hypocrites, hautains, déconnectés des réalités, trop souples, trop rigides. Leurs décisions sont stupides, irréfléchies, précipitées, gaspillent l’argent public, et entrainent protestations, manifestations, grèves voire parfois des émeutes.
Partant de là, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle.
La bonne nouvelle , c’est que malgré cette vision d’apocalypse, les citoyens restent attaché à l’idée de la démocratie. En France, c’est le cas de 83% des gens, et c’est un peu un miracle.
La mauvaise nouvelle, c’est que les 17% restants pensent que tout cela fonctionnerait beaucoup mieux si on confiait tout le pouvoir à un petit moustachu qui parlerait très fort et qui règlerait tous les problèmes. Et la mauvaise nouvelle dans la mauvaise nouvelle, c’est que vu comment les choses évoluent, ils sont de plus en plus nombreux.
Et là ça commence à craindre vraiment, vu que en général on sait comment ça se termine.
Du coup, il serait plus que temps de comprendre ce qui déraille là dedans et qui fait qu’on en est arrivé là.
Pourquoi la démocratie, ça marchait mieux avant (et maintenant, beaucoup moins bien)
Pour illustrer tout cela (et pour ne fâcher personne), transportons nous un instant dans un monde où tous les animaux de la Terre vivent dans une heureuse démocratie.
Il y a pleins d’animaux différents mais ils se divisent globalement en deux catégories: les carnivores et les herbivores, les premiers ayant une fâcheuse tendance à manger les seconds, qui n’apprécient pas trop.
Les herbivores et les carnivores ont chacun des leaders d’opinions, qui s’expriment sur les quelques chaines de télévision et journaux disponibles. Le parti herbivore lutte farouchement pour que les herbivores aient des conditions de vie acceptables malgré la menace des carnivores, et le parti carnivore défend qu’ils sont nécessaires à l’écosystème et qu’il faut bien qu’ils mangent.
Chacun essaie de grapiller des électeurs à l’autre camp en arrondissant les angles, et au final lors des élections on a souvent deux blocs très serrés autour de 50% des voix.
Lorsque les carnivores sont majoritaires, ils ont tendance à prendre des mesures qui fâchent les herbivores. A l’élection suivante, les herbivores sont du coup très mobilisés et remettent au pouvoir les herbivores, qui prennent ensuite des mesures inverse, et ainsi de suite.
Au final, au grès des alternances et des allers retours, les idées qui plaisent aux herbivores sans trop déplaire aux carnivores sont adoptés, et inversement. On aboutit à un équilibre qui satisfait plus ou moins tout le monde.r
Vous aurez probablement reconnu l’alternance « droite / gauche » qui a été le fonctionnement de plus ou moins toutes les démocraties modernes jusque dans les années 90s/2000.
Mais alors…
Qu’est-t il arrivé ?
Retournons dans notre univers animalier. Dans les années 2000, le nombre de médias explose: chacun veut sa chaine de télé, SON site internet, SA communauté sur SON réseau social.
Un lapin fait du bruit sur les réseaux sociaux: il indique que la déforestation menace les petits animaux au profit des grands, et que les petits animaux doivent s’allier, qu’ils soient carnivores ou herbivores.
Les oiseaux, historiquement divisés entre le parti herbivore et le parti carnivore, se rassemblent sur les réseaux sociaux et décident qu’ils sont finalement assez nombreux et particuliers pour avoir leur propre parti et leurs propres représentants qui défendront leurs droits.
Au final, les animaux se divisent en cinq partis principaux, qui obtiennent tous entre 15 et 25% des voix aux élections: les petits carnivores, les grands carnivores, les petits herbivores, les grands herbivores, et les oiseaux.
Et là on pourrait se dire que ce n’est pas très grave. Après tout, qu’il y ai 2 partis ou qu’il y en ai 5, il y a des idées qui sont majoritaires parmi les animaux et il suffit de les appliquer. Par exemple, tous les petits animaux et les oiseaux sont pour stopper la déforestation: à 3 partis contre 5, ils devraient avoir assez de pouvoir pour sauver les forêts.
Sauf que non, en pratique, dans une démocratie représentative, ça ne fonctionne pas comme ça.
Le parti des grands herbivores ayant reçu le plus de voix, c’est un éléphant qui devient président des animaux, mais n’ayant pas la majorité, il doit s’allier avec deux autres partis (les grands carnivores et les petits herbivores) pour exercer le pouvoir.
Compte tenu de leur appartenance au gouvernement des animaux, et pour ne pas froisser leurs alliés les grands animaux, les petits herbivores ne votent finalement pas la loi contre la déforestation. Il y avait pourtant une majorité d’animaux pour la soutenir. On se retrouve avec une idée, pourtant majoritaire, qui n’ira jamais plus loin.
Et c’est même la plupart des idées majoritaires qui ne seront jamais soutenues. Prenons l’exemple une idée soutenue par 4 des 5 partis. On se dit qu’elle n’aura absolument aucun problème pour être votée par notre parlement des animaux. Cependant, il suffit que le seul parti qui soit contre cette idée fasse partie de la coalition au gouvernement pour que l’idée ne soit en fait jamais soutenue.
Dans le premier exemple ci-dessous (ligne numéro 1), une proposition est soutenue par 4 partis sur 5, mais les grands herbivores (bleu) ne la soutiennent pas. Pour ne pas briser la coalition gouvernementale, les alliés (noir et vert) refusent de soutenir la loi. Pour qu’une loi soit adopte, il faut que tous les partis au gouvernement la soutienne, ce qui n’arrive qu’aux lignes 2 et 5.
Dans cette configuration, il se peut donc que 60% des idées majoritaires (soutenues par 4 partis sur 5) ne seront jamais mises en pratique.
Si on va plus loin et qu’on étudie les idées soutenues par 3 partis sur 5, donc des idées qui sont bien majoritaires, c’est encore pire: 9 idées majoritaires sur 10 ne seront jamais mis en pratique.
Le peuple des animaux dans son ensemble commence vraiment à sentir qu’ils ne sont pas écoutés par leurs représentants.
Le début des ennuis
Les petits herbivores sont furieux: malgré leur présence au gouvernement, leurs représentants ne font rien contre la déforestation.
Les électeurs des grands herbivores sont déçus: alors qu’ils ont gagné les élections, seul 10% du programme électoral est exécuté car leurs représentants doivent s’entendre avec leurs alliés au gouvernement.
Les oiseaux et les petits carnivores n’attendent eux plus rien du gouvernement qui n’a jamais rien fait pour eux. Ils n’ont en plus pas beaucoup d’espoir car ils savent que même si leurs représentants arrivent au pouvoir, ils devront eux aussi construire des coalitions qui ne feront pas beaucoup mieux que le gouvernement actuel.
Il existe des variantes de ce monde. Il y a un monde où grâce au système électoral, les grands herbivores arrivent à conserver le pouvoir même avec une minorité des votes, se mettant ainsi à dos la quasi totalité des autres animaux. Il y a un monde où des élections primaires sélectionnent deux sous-groupes (un parmi les carnivores, un parmi les herbivores), ce qui fait que dès l’élection, une majorité d’animaux ne se sentent vraiment représenté par aucun candidat.
Ce monde, c’est notre monde: des démocraties dans lesquelles les décisions ne satisfont personne, des pays qui sont ingouvernables, des citoyens qui sont toujours plus en colère contre leurs élus et qui sont de plus en plus nombreux à penser que l’idée même de la démocratie est obsolète.
Et tout cela n’est pas très rassurant.
On fait quoi, du coup ?
Si on reprend l’exemple précédent, on voit bien que le problème n’est pas tellement que les animaux soient divisés en cinq groupes. Le problème est surtout que leurs représentants, une fois organisés en partis sont incapables de prendre les décisions qui rassemblent pourtant la majorité des animaux.
Le problème n’est pas tellement la démocratie, mais la démocratie représentative ou en tout cas la manière dont elle existe aujourd’hui.
Ce que propose le projet Baztille, c’est de réparer la démocratie représentative pour permettre enfin de prendre les décisions attendues par les citoyens. C’est d’inverser le mouvement de colère et de défiance vis à vis de la démocratie pour la rendre à nouveau fonctionnelle et populaire. C’est de montrer qu’une autre voie est possible à coté du scénario noir actuel qui risque de conduire à la catastrophe.
Et en pratique, comment on fait ? Ça sera justement l’objet de l’article suivant.